Équilibrant la remarquable somme de Jean-Marc Berlière sur les « Polices des temps noirs » - en fait plutôt les « Polices noires des temps noirs », tant l’auteur omet de parler des policiers résistants -, l’œuvre de l’historienne Limore Yagil vient compléter et corriger la vision uniformément sombre qui prévaut sur les policiers du temps de l’Occupation.

Poursuivant son méticuleux travail déjà largement engagé dans ses trois précédents ouvrages (La France, terre de refuge et de désobéissance civile,  3 tomes aux Ed. Cerf), Limore Yagil restitue la mémoire de ceux des policiers et gendarmes qui ne furent pas tous « noirs ». Dans son nouveau livre Désobéir  l’auteure nous emmène à la rencontre de ceux qui ont su se dresser contre la barbarie, au risque de leur vie. Dans la veine de ses précédents travaux sur la désobéissance civique dans la France de Pétain, Mme Yagil retrouve donc les agents publics qui ont choisi de vivre la période à la marge de l’institution dont ils relevaient.

Par de nombreux cas individuels, elle redonne consistance aux hommes (et femmes) de l’ombre, dont la résistance était particulièrement difficile et risquée. Elle exhume des cas nouveaux par rapport à ses (et à nos) ouvrages antérieurs, les met en ordre, soulignant la précocité de certaines résistances, l’atypisme d’autres, et les spécialités de chacun. S’intéressant plus aux hommes qu’aux institutions (là est la nécessité si on veut comprendre cette époque) Limore Yagil jette sur ces policiers (et d’autres administratifs désobéissants) un regard attentif et souvent admiratif. Elle a par ailleurs l’intelligence d’inscrire cette reconnaissance dans celle plus générale des actes positifs d’une partie non-négligeable de la société française à l’aide de nombreux exemples inédits, remarquablement documentés. Enfin, un relevé quasi-exhaustif des policiers et gendarmes reconnus comme Justes parmi les Nations complète son travail.

Elle a d’autant plus de mérite que son approche par des cas individuels, est sans doute pour les historiens la moins facile à traiter. Il est en effet plus aisé d’aller à la rencontre d’institutions qui ont toutes laissé peu ou prou des archives centralisées, lesquelles épargnent au chercheur d’ouvrir des dizaines de milliers de dossiers pour détecter des cas personnels intéressants, perdus parmi des centaines de milliers d’autres, membres des forces de l’ordre ou non.

Vraisemblablement est-il plus aisé aussi -parce que sujette à moins de soupçons-, à une écrivaine d’origine israélienne de dire des choses positives sur des membres d’institutions dont il est de tradition en France de faire les boucs émissaires de l’Histoire. Ceux-ci sont en effet presque systématiquement victimes des regards borgnes ou trop idéologiques que des historiens le plus souvent peu curieux en regard des cas individuels, jettent sur les policiers et gendarmes, pour mieux les accabler, même non-délibérément.

Les ouvrages de Limore Yagil constituent un heureux contrepoint, humain, à l’approche trop souvent institutionnelle d’une Histoire qui devient fausse à force d’être schématisée pour entrer dans le moule uniforme qui lui est assigné depuis plus de 70 ans.

L’historienne a là un point commun avec Jean-Marc Berlière, lui aussi pourfendeur d’une « Histoire prêt-à-porter ».

Luc Rudolph